S’il est un endroit où cet art de la table à la française est représenté avec faste, c’est bien le palais de Élysée.
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Le repas gastronomique au service de l’État
" Laisser du temps au temps " : Bernard Vaussion, le chef des cuisines de l’Elysée, ne démentirait sans doute pas la fameuse formule mitterrandienne. Entré comme simple commis sous le mandat du président Pompidou, ce Solognot a gravi tous les échelons pour devenir chef des cuisines de l’Élysée en 2004. Trente-neuf ans de bons et loyaux services ; le ton est posé, courtois, affable, l’atmosphère feutrée, aux antipodes de l’hystérie qui règne dans certaines brigades. Autre particularité de la maison, la proximité des grands de ce monde rend modeste et incline à la retenue. Vous ne tirerez pas la moindre confidence ou anecdote croustillante de celui qui a comblé les appétits de Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac et Sarkozy. Service oblige, Bernard Vaussion tiendra la barre jusqu’à la prochaine élection, et s’il songe à prendre bientôt sa retraite, la relève est assurée en la personne de son brillant second Guillaume Gomez, meilleur ouvrier de France.
Si l’on privilégiait autrefois les pièces de bœuf ou de veau braisé, servies entières sur la table de De Gaulle ou de Pompidou, dans la tradition d’Auguste Escoffier, la cuisine de la présidence est désormais en phase avec ce qui se pratique dans les grands établissements étoilés. VGE, adepte du « changement dans la continuité » et très au fait des dernières tendances culinaires de son époque, fut le premier à jeter une passerelle entre les grands restaurants étoilés et l’Élysée en y introduisant la nouvelle cuisine. De nos jours, Bernard Vaussion dialogue régulièrement avec les grands chefs, à commencer par ses voisins, Jean-François Piège quand il était au Crillon, et Éric Fréchon au Bristol (restaurant L'Épicure), dont Nicolas Sarkozy apprécie particulièrement la cuisine.
Sous Mac-Mahon, un dîner d’État comptait quinze à vingt plats servis en trois ou quatre heures. De Gaulle, plus expéditif, en avait drastiquement réduit le nombre à cinq, qui s’enchaînaient en une heure quarante. Avec le président Sarkozy, le repas s’allège et le temps s’accélère : entrée, plat, dessert (exit le fromage), le tout en 55 minutes ou 1h30, selon le contexte. Entrées et desserts sont proposés à l’assiette, mais le plat principal continue à être présenté à la française au convive, qui se sert lui-même.
La table de l’Élysée, Un patrimoine vivant
Ce qui frappe au premier abord dans les 500 m2 de cuisine installés dans les anciennes écuries de la garde républicaine, c’est la batterie de cuivres rutilants : casseroles, moules, marmites… Ils proviennent des Tuileries, de Fontainebleau, de Compiègne, de Saint-Cloud, et on y concoctait l’ordinaire de Louis-Philippe et de Napoléon III. Mais ils ne sont pas accrochés là pour la décoration ; « nous les utilisons au quotidien », nous confie Bernard Vaussion.
Malgré les révolutions, pas de politique de la table rase, mais au contraire le choix de la continuité et de la transmission : Mac-Mahon s’invite à la table de Louis-Philippe, Carnot et Pompidou à celle de Napoléon III. La vaisselle est de Sèvres, comme il se doit dans une maison ayant appartenu à la marquise de Pompadour*, et là encore, elle sert tous les jours.
Chaque pièce est estampillée, datée, comme ces assiettes du service Capraire dont les plus anciennes datent de 1826. Des informations qui révèlent le souci constant de chaque président d’investir sur le long terme et d’enrichir ce patrimoine. Il peut ainsi s’écouler plusieurs mandats entre la création d’une pièce et son état définitif. Par exemple, alors que le service aux Oiseaux a été créé en 1858, la tasse à café n’a été fabriquée qu’en 1911 et il a fallu attendre 1926 pour qu’elle soit enrichie d’une dorure. Ou encore cette tasse à thé de 1866 qui n’aura sa sous-tasse qu’en 1895 et ne sera dorée qu’en 1899. C’est un peu comme si Armand Fallières passait les plats à Poincaré (rappelons en cette période électorale que ce brave président Fallières, refusant de briguer un second mandat, avait déclaré : « La place n’est pas mauvaise, mais il n’y a pas d’avancement. »). Dernière création en date, le service Constellation, conçu par Philippe Favier à la demande de Bernadette Chirac à l’occasion du Millénaire.
Lorsqu’une pièce est abîmée, là encore pas de précipitation : elle est renvoyée à Sèvres pour réparation et ne revient que deux ou trois ans plus tard. Chaque pièce est unique et peinte à la main : compter 80 heures de travail pour une assiette du service aux Oiseaux et entre 3 000 et 6 000 € pièce. Il en va de même des verres Baccarat, qui sont expédiés à la cristallerie pour réparation dès qu’ils sont ébréchés ou fêlés.
Six argentiers prennent soin de la vaisselle et des couverts en argent massif signés Puiforcat et Christofle. Pour dresser les tables, ils choisissent les services avec l’intendant, les lingères et le chef en fonction du menu, de l’invité… et de la fragilité. On sert plutôt le plat principal dans le service Capraire, tandis que celui aux Oiseaux, plus délicat, est réservé aux desserts. Une vaisselle au décor très riche qui pose parfois problème aux cuisiniers pour la présentation de l’assiette.
Dresser une table comme à l’Élysée
S’il vous prenait fantaisie de dresser une table comme à l’Élysée, voici quelques conseils.
- Poser les assiettes à un doigt du bord de la table.
- Les fourchettes sont retournées dents contre table de façon à exposer le chiffre RF (République française), contrairement à Buckingham où les armoiries de la couronne d’Angleterre sont gravées de l’autre côté.
- Signe particulier, on dispose les verres en triangle ou en losange, selon que l’on sert le champagne à table ou non. Le verre à vin blanc est placé au centre, trois doigts au-dessus de l’assiette ; le verre à vin rouge à droite ; le verre à eau à gauche ; la flûte à champagne au-dessus dans l’alignement du verre à vin blanc, terminant ainsi le losange.
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